Nos missionnaires...
GILLES POIRIER
UN EXPERT EN RELATIONS HUMAINES
Originaire d’Alfred en Ontario, Gilles Poirier est prêtre des Missions-Étrangères depuis 49 ans. Il a travaillé en Argentine durant 16 ans, au Soudan durant 9 ans, au Kenya durant 13 ans et au Québec durant 9 ans, en formation ainsi qu’au Conseil central de la Société des Missions-Étrangères.
L’Argentine a donc été sa première mission, plus précisément le diocèse de Resistencia dans le nord du pays. Il y oeuvre successivement dans trois paroisses différentes de la campagne et de la ville, en plus de s’engager au plan diocésain auprès de la jeunesse et en catéchèse. Il n’a aucune difficulté pour apprendre l’espagnol.
De fait, on dit de notre missionnaire qu’il est bon en langues. D’après lui, cela n’est pas exact. Il n’est pas nécessairement bon en langues, mais il dit qu’il a des aptitudes qui l’aident à paraître bon. Il a la capacité de bien
prononcer et d’imiter. Cela lui permet d’acquérir facilement la tonalité argentine et d’apprendre les expressions populaires du pays. Des gens qui ne le connaissent pas croient au premier abord qu’il est Argentin. À cause de ces dons naturels, les contacts sont faciles pour lui et l’insertion dans différents milieux ne lui demande pas tellement d’efforts. De plus, il aime les sports. Cela lui donne des entrées auprès des hommes, y compris ceux qui ne vont jamais à l’église.
Il peut ainsi facilement découvrir et apprécier les qualités des gens : leur accueil, leur simplicité, leur goût pour la célébration et la fête, leur capacité de préparer des mets succulents, en particulier le fameux « asado », ce plat de boeuf grillé qui fait les délices de Gilles et qu’il aime cuisiner lui-même pour recevoir des amis ou des gens avec qui il travaille. Aux côtés du peuple argentin, Gilles vit une situation de grande violence politique, la
« Guerre sale », alors que les militaires prennent le pouvoir et gouvernent le pays de 1976 à 1982.
Comme il travaille avec des groupes populaires dont certains sont politisés et n’ont presque rien à voir avec l’Église, cela lui crée parfois de sérieux problèmes au plan de la sécurité personnelle. Mais il est convaincu que les conséquences de ses engagements signifient qu’il est en harmonie avec les valeurs évangéliques.
UNE PROPOSITION SURPRENANTE
Gilles est donc heureux en Argentine. Il aime son travail et il adore les gens, mais il veut aller ailleurs. Il réalise qu’il a donné ce qu’il pouvait au peuple argentin. De plus, l’Église de Resistencia commence à donner des prêtres de l’endroit et elle a de bons leaders laïques.
Les responsables de la Société ne répondent pas exactement aux attentes de Gilles. Plutôt que de lui demander d’aller travailler dans un autre pays d’Amérique latine ou ailleurs à l’étranger, ils l’invitent à devenir le responsable de la formation à Montréal. Il va donc accompagner durant cinq ans les jeunes qui se destinent au sacerdoce dans la SMÉ.
En 1989, ô surprise, on lui offre d’aller au Soudan, en Afrique donc. Cette proposition le bouscule passablement. Il a l’impression de s’être fait prendre, comme on dit. En demandant de quitter l’Argentine pour aller ailleurs, il voulait être généreux, mais peut-être pas autant que cela. Par contre, en y réfléchissant bien, cette demande répond à sa façon d’être, à son goût des défis complexes, dangereux même. De plus, il s’agit d’une nouvelle mission, tout est à faire, tout est à bâtir, ce qui va probablement lui donner beaucoup de liberté. Rapidement, le défi lui plaît et il accepte l’invitation faite par le Conseil central et le groupe du Soudan.
En août 1990, notre ami part pour l’Égypte, où il va étudier l’arabe durant deux ans. C’est plus difficile que l’espagnol, d’autant plus qu’il a maintenant 48 ans. En juin 1992, il arrive à Khartoum, la capitale du Soudan, et, face à la misère extrême des bidonvilles, il vit le choc de sa vie. Il n’a encore jamais rien vu de pareil en termes de pauvreté et de misère.
AUPRÈS DES DÉPLACÉS DE GUERRE
Au Soudan, le groupe de missionnaires de la SMÉ travaille auprès de gens du sud, réfugiés dans le nord du pays. Ils ont dû s’installer dans la banlieue de Khartoum, car les musulmans du nord veulent dominer les gens du sud, qui sont chrétiens ou adeptes des religions traditionnelles. Dans le sud, c’est la guerre entre les deux groupes. S’ils ne veulent pas se battre, les gens des villages du sud n’ont d’autre choix que d’émigrer vers le nord, quitte à vivre dans une misère extrême. On les appelle les « déplacés de guerre ».
Face à leur situation, Gilles et ses confrères se sentent inutiles et surtout impuissants. Malgré leur incapacité de subvenir à tous les besoins, ils commencent à développer un programme de formation de leaders avec les responsables des communautés chrétiennes et les professeurs des écoles de déplacés de guerre. La réponse des gens est formidable. Certes, ils n’ont rien à perdre, mais c’est leur désir de s’en sortir qui les pousse à prendre très au sérieux les sessions qui leur sont offertes et à s’engager en conséquence.
Notre missionnaire admire ces gens et il les trouve très résilients.
UNE FIN ABRUPTE
Dans leur travail de promotion au leadership, Gilles et ses confrères lancent de petits projets de développement communautaire comme de petits restaurants, des initiatives de couture pour les femmes, de petites coopératives de travail, etc. Avec le temps, la corruption entre parmi les membres de certains groupes qui appartiennent à la communauté chrétienne. Pour répondre à des urgences ou des besoins personnels, on utilise l’argent de projets de développement communautaire. Ce n’est pas tout le monde qui fait cela, mais le problème est présent. On doit donc prendre des mesures disciplinaires et renvoyer certaines personnes.
C’est ce qui vaut à Gilles d’être dénoncé auprès des instances gouvernementales, plus spécialement la sécurité d’État, par des chrétiens de la paroisse. Comme le gouvernement cherche par tous les moyens à mettre des bâtons dans les roues du travail de l’Église, il profite de cette dénonciation pour expulser Gilles. Le 7 août 1999, on lui enlève son passeport et on lui donne 15 jours pour quitter le pays. Partir de façon aussi rapide, sans pouvoir saluer les gens, est une souffrance pour lui et il a l’impression d’une tâche inachevée.
RETOUR À LA FORMATION
De retour au pays, Gilles fait un stage d’un an au Centre de spiritualité Manrèse de Québec et c’est ainsi qu’il se remet sur pieds et qu’il est prêt à passer à autre chose. Le 3 octobre 2000, il s’envole à nouveau pour l’Afrique, pour un pays proche du Soudan : le Kenya. C’est là que la SMÉ envoie ses candidats au sacerdoce pour poursuivre leur formation en théologie et dans les matières connexes. Dès son arrivée au Kenya, en plus de travailler dans des paroisses, il s’intègre à l’équipe de formation, retrouvant un domaine dans lequel il s’était auparavant engagé au Québec durant cinq ans. Au Kenya, il travaillera en formation durant dix ans.
Notre missionnaire apprécie ses nombreuses années consacrées à la formation. Vivre au contact de jeunes candidats de différentes
cultures est très enrichissant. La complémentarité qu’on expérimente ainsi lui semble vraiment merveilleuse. Lorsqu’ils reviennent à la maison, les jeunes ramènent constamment du collège ou de l’université les nouveautés en théologie, en philosophie et en pastorale. De plus, le service de la formation est en lien avec son travail antérieur dans les différents pays où il a oeuvré. Comme il a surtout travaillé dans la formation de leaders, son approche et sa méthodologie dans la formation des candidats au sacerdoce et à la mission sont sensiblement les mêmes. Gilles considère donc que son temps passé à la formation au Kenya et au Québec a été une grâce.
PAS QUESTION DE RETRAITE
Notre ami vient de passer cinq ans sur l’équipe dirigeante de la SMÉ. Il a 76 ans, mais il ne pense pas à la retraite. Il retournera prochainement au Kenya. Il ne le fait pas par obligation ou par esprit de sacrifice, mais dans le but de rendre service en considérant les besoins du groupe. Deux membres de la mission du Kenya viennent en effet d’être élus dans le nouveau Conseil central. Comme il n’a plus les forces physiques d’autrefois, il n’aura pas de responsabilités majeures dans le groupe. Son rôle sera celui d’appui et de support dans la formation et les activités paroissiales. Il sera un peu comme le grand-père de cette famille missionnaire.
Gilles a été heureux dans sa vie missionnaire. Il dit qu’il n’a pas réalisé de grands projets ni bâti de grandes constructions. Il pense que sa grande réalisation a été de marcher en toute simplicité avec les communautés où il s’est inséré.
PAR CLAUDE DUBOIS, P.M.É.